2018 : année blanche pour les professionnels de santé ?

Il convient une fois de plus de bien comprendre le principe de cette année de transition, pour ensuite essayer de visualiser comment cela se passera dans la pratique.
Car à l’instar des propos du Capitaine Haddock dans Tintin au pays de l’or noir : "C'est à la fois très simple et très compliqué..."
Comme d’habitude en matière fiscale, si le principe pose peu de difficultés, il n'en va pas de même pour les modalités d’application …
Double taxation en 2019 ?
Nous avons vu dans notre précédent article que les impôts payés à compter du 1er janvier 2019 concerneront les revenus de l’année 2019, et non ceux de 2018 (suppression du décalage d’un an).
On comprend rapidement que si l’année 2018 était taxée, il faudrait payer en 2019 à la fois les impôts de 2019 et ceux de 2018 !
Ceci n’est pas concevable, ni d’un point de vue financier pour les contribuables, ni d’un point de vue électoral pour nos gouvernants…
Il a donc été décidé que les revenus de l’année 2018 échapperaient à l’impôt pour éviter cette double taxation. D’où le terme d’ « année blanche » d’un point de vue fiscal.
Les représentants des impôts préfèrent quant à eux parler d’ « année de transition ».
Après avoir pris connaissance des modalités d’application, ce terme paraît en effet nettement plus approprié...
2018 : une année pas tout à fait blanche
Malheureusement pour certains, tous les revenus de 2018 n’échapperont pas à l’impôt sur le revenu.
Cela concerne certaines catégories de revenus, ainsi que les revenus qualifiés d’exceptionnels.
Les revenus qui resteront soumis à l’IRPP en 2018
Il s’agit en gros des revenus ne rentrant pas dans le champ du PAS (article précédent) :
- les revenus de capitaux mobiliers (dividendes, etc.), concernés par une autre
réforme : la « Flat tax »
- les plus-values professionnelles (à long terme)
- les plus-values immobilières (impôts perçus par le notaire lors de la vente)
Ceux qui se rémunéraient pour une bonne part sous forme de dividendes en plus de leur rémunération vont avoir une mauvaise surprise fin 2019. Ils vont devoir acquitter l’impôt sur ces revenus perçus en 2018.
Les revenus qui échapperont à l’impôt sur le revenu en 2018
les revenus qui entrent dans le champ du PAS …
Il s’agit :
- des revenus des travailleurs non-salariés (indépendants BNC ou gérants
de sociétés)
- des salaires
- des pensions de retraites
- des revenus fonciers
Les revenus des professionnels de santé entrent bien dans cette catégorie
… à condition d’être qualifiés d’habituels !
La crainte du fisc est que ceux qui peuvent avoir une influence sur le montant de leurs revenus en profitent pour augmenter artificiellement leur bénéfice ou rémunération de 2018.
Qui n’a pas rêvé de pouvoir au moins une fois dans sa vie gagner de l’argent sans payer d’impôts ?
Il va donc être nécessaire de ventiler ses revenus de 2018 entre :
- La part considérée comme habituelle, qui échappera à l’impôt
- La part considérée comme exceptionnelle qui sera taxée
Il faut donc s’attendre à devoir remplir en 2019 des déclarations de revenus encore plus compliquées que celles des années précédentes, car il faudra y faire apparaître cette distinction…
Et attention aux erreurs ou omissions, qui risquent d’entraîner des rappels d’impôt et des pénalités !
La réalisation pratique : le CIMR !
La non-imposition des revenus de 2018 sera réalisée par l’intermédiaire d’un Crédit d’Impôt pour la Modernisation du Recouvrement (CIMR), dont la formule de calcul n’est pas forcément très parlante à la 1ère lecture :
CIMR = [IR x Rinclusnonexcep / RNI] – Ciétranger
Sans rentrer dans le détail de calculs qui promettent d’être complexes, on peut résumer ce qui va se passer de la façon suivante :
- Les revenus de 2018 feront dans un premier temps l’objet d'un calcul d’impôt,
comme pour une année classique ;
- Si les revenus sont habituels, le CIMR viendra annuler cet impôt en totalité ;
- Si une partie des revenus est exceptionnelle, le CIMR ne réduira que
partiellement l’impôt dû. Les revenus exceptionnels resteront ainsi
mécaniquement soumis à l'impôt sur le revenu.
Une durée de prescription rallongée
Consciente du travail de contrôle considérable que cette année de transition risque d’entraîner, l’administration fiscale s’est ménagé un petit délai supplémentaire. Tout est toujours plus simple quand on peut fixer les règles soi-même …
Ainsi, pour les revenus de 2018, la prescription fiscale (durée durant laquelle le fisc peut redresser un contribuable) a été portée de 3 à 4 ans.
Les revenus de 2018 pourront ainsi être contrôlés jusqu’en 2022.
Les revenus des professionnels de santé
Dans la plupart des cas, leurs revenus rentrent soit dans la catégorie des bénéfices non commericaux (BNC), soit dans celles des gérants de SELARL. D’autres cas peuvent se présenter (associés de SCP, etc).
Tous ces revenus entrent dans le champ d’application du PAS (à l’exception des dividendes).
Comment déterminer si les revenus de 2018 sont habituels ou exceptionnels ?
Une fois n’est pas coutume, la méthode à retenir est relativement simple.
Il faudra comparer les revenus de 2018 avec ceux de 2017, 2016 et 2015… ainsi éventuellement que ceux de 2019 !
Le principe
1ère étape : comparaison des BNC de 2018 avec ceux des trois années précédentes
On doit comparer le revenu de 2018 avec le plus élevé des revenus des années 2017, 2016 et 2015.
Si le BNC de 2018 est inférieur à ce montant, il est considéré comme habituel, et échappera donc à l’impôt.
Si le BNC de 2018 est supérieur à ce montant, le surplus sera taxé.
2ème étape : la prise en compte des revenus de 2019
On peut tout à fait envisager le cas d’un professionnel qui voit ses revenus augmenter régulièrement depuis 4 ans sans que cela ne présente un caractère anormal. Dans ce cas, les revenus de 2018 seront effectivement supérieurs à ceux des trois années précédentes.
Dans sa grande mansuétude, le fisc permettra donc de tenir également compte du BNC de 2019 pour juger si le BNC de 2018 est exceptionnellement élevé ou non.
Si les revenus de 2019 sont eux aussi d'un montant élevé, il sera possible d’obtenir le remboursement du surplus d’impôt précédemment payé en 2019 au titre de 2018.
Selon les cas, ce remboursement pourra être total ou seulement partiel.
L’ajustement sur réclamation
L’administration a également indiqué que dans certains cas, elle pourrait, sur demande argumentée des professionnels, considérer des revenus supplémentaires comme non exceptionnels.
Les textes correspondants sont comme bien souvent rédigés sans réelles précisions, ce qui peut laisser court à de nombreuses interprétations.
De belles discutions en perspective sur le sujet avec l’administration fiscale !
L’imposition du surplus et la recherche d’optimisation
Contrairement à ce qui se passe habituellement, ces revenus exceptionnels ne seront pas taxés au taux marginal (tranche supérieure), mais à un taux moyen, qui lui est parfois très nettement inférieur.
Le fait d’avoir des revenus exceptionnels en 2018 ne sera donc pas toujours catastrophique d’un point de vue fiscal, et pourra même parfois se révéler intéressant. Comme toujours, la situation de chacun constituera un cas particulier.
La recherche éventuelle d’optimisation nécessite donc de se livrer à une étude détaillée de sa propre situation, ainsi que d’établir des simulations chiffrées précises.
Les analyses simplistes du type « je vais décaler des recettes sur 2019 pour ne pas payer d’impôt sur mes revenus de 2018 » risquent de déboucher, comme bien souvent en pareil cas, sur de mauvaises surprises fin 2020 !
Afin d'illustrer ces divers principes, quelques exemples chiffrés figurent ci-dessous :
Certains cas sont relativement simples à comprendre. Mais cela peut rapidement se compliquer...
1er cas : le BNC de 2018 est inférieur au plus élevé des bénéfices de la période 2015-2017
BNC 2015 : 30 000 €
BNC 2016 : 40 000 €
BNC 2017 : 32 000 €
BNC 2018 : 35 000 €
Le BNC le plus élevé des années 2015-2017 s’élève à 40.000 € (2016)
Le BNC de 2018 étant inférieur à ce montant (35.000 €), il échappera en totalité à l’IRPP.
2ème cas : le BNC de 2018 est supérieur au plus élevé des bénéfices de la période 2015-2017
BNC 2015 : 30 000 €
BNC 2016 : 40 000 €
BNC 2017 : 32 000 €
BNC 2018 : 45 000 €
Le BNC le plus élevé des années 2015-2017 s’élève à 40.000 € (2016)
Le BNC de 2018 étant supérieur à ce montant (45.000 €), le surplus de revenus (5.000 €) sera imposé à l’IRPP en 2019.
Il conviendra dans ce cas de bien étudier le BNC de 2019 pour savoir si cette taxation est définitive.
2.1. le BNC de 2019 est inférieur au plus élevé des bénéfices de la période 2015-2017
BNC 2019 : 38.000 € (BNC 2016 : 40 000 €)
Dans ce cas, le BNC de 2018 aura bien un caractère exceptionnel, et l’imposition supplémentaire payée deviendra définitive.
2.2. le BNC de 2019 est supérieur au plus élevé des bénéfices de la période 2015-2017
Deux cas de figure :
- le BNC de 2019 est supérieur ou égal à celui de 2018
BNC 2019 : 48.000 € (BNC 2018 : 45.000 €)
Le BNC de 2018 est finalement considéré comme habituel pour sa totalité (car les revenus continuent à augmenter l'année suivante).
Il sera possible d’obtenir le remboursement de la totalité de l’impôt supplémentaire précédemment payé.
- le BNC de 2019 est inférieur à celui de 2018 (cela se complique...)
BNC 2019 : 43.000 € (BNC 2018 : 45.000 €)
Le BNC de 2018 ne sera plus considéré comme exceptionnel qu’à hauteur de 2.000 € (45.000 – 43.000) au lieu de 5.000 € précédemment.
Il sera possible d’obtenir le remboursement partiel de l’impôt supplémentaire précédemment payé.
Pour résumer, on peut dire qu'il va être nécessaire de comparer les revenus de 2018 avec ceux de 4 années :
- 2017, 2016 et 2015 qui sont déjà connus
- 2019, qui ne sera connu qu'en 2020.
Il est utile de préciser que nombreuses situations particulières peuvent se présenter :
- Sources de revenus multiples
- Début d’activité en 2018
- Etc.
Autant de cas qui vont compliquer encore un peu plus ce qui figure ci-dessus…
Les 5 points à retenir :
- Il n’y aura pas de double imposition en 2019, sauf exceptions
- les revenus « exceptionnels » de 2018 seront taxés
- Les revenus d’activité des professionnels de santé sont concernés par l’année blanche
- les revenus d’activité de 2018 devront être comparés avec ceux de 2015, 2016, 2017 et éventuellement 2019
- Les calculs d’optimisation fiscale nécessitent la plus grande prudence
Bruno LABREZE
Expert-comptable